Le mot « attaque » pour moi est un mot qui ne veut pas dire grand chose, car on ne fait jamais un geste qui correspond à ce qu’un novice imagine.

Que veut dire attaquer : Faire mal à l’autre? le mettre en impossibilité de bouger?le détruire?

En sport généralement celui qui attaque gagne. En aïkido c’est le contraire.

Si au début l’attaquant est libre de faire le geste qu’il imagine juste, il doit par la suite subir une technique qui l’amène à réaliser une roulade ou à être immobilisé au sol. Plusieurs fois j’ai entendu cette phrase : « tu veux que je t’attaque pour de vrai » ? Cela veut dire qu’avant c’était une attaque pour de faux? Attaquer n’est pas un geste naturel, il faut apprendre, et nous, en aïkido, on ne vient pas attaquer. On vient se défendre face à une attaque ou une saisie connue.

La saisie est la partie la plus importante de notre pratique. Il n’existe que trois frappes pour une dizaine de façons différentes de prendre le contact avec l’autre partenaire.

Notre art est donc construit sur des gestes qui ne devraient jamais surprendre l’autre afin de lui donner de la confiance et de l’expérience. La difficulté de notre art est de refaire ces mêmes gestes avec un partenaire qui lui change à chaque instant .En pratiquant avec un partenaire différent, il nous faut nous adapter à sa morphologie, à son expérience et à son ressenti qui sont forcément différents du nôtre.

On entend très souvent cette phrase : «  ton attaque n’est pas bonne, ta saisie n’est pas juste ». Depuis plusieurs années ces phrases me choquent, car, pour moi, toutes les façons de prendre contact avec l’autre sont justes; ce sont les déviances de notre pratique, qui ont amené Tori à prononcer cette phrase. Pour moi ces paroles montrent les limites de notre art. Il nous faut toujours corriger Uke sur sa façon de prendre le contact avec nous.

Nombreuses sont les vidéos où l’on voit un Karatéka ou un boxeur attaquant un aïkidoka, et, c’est toujours l’aïkidoka qui gagne. Comment est ce possible ? L’aïkido serait il plus efficace que les autres arts martiaux ? Et bien non; pour moi ces démonstrations font un tort considérable à notre art. Il est évident que ce sont deux amis qui exécutent une très belle chorégraphie. Le karatéka comme le boxeur suivent les consignes de l’aïkidoka. Je pense même que l’aïkidoka n’est pas très fier de ce qu’il a fait. Il fait cela juste pour sa petite publicité, mais personne n’est dupe dans le monde des arts martiaux. Il en va de même pour un élève, vis-à-vis d’un enseignant ,quand celui-ci fait sa démonstration au milieu du tapis. Uke n’a pas le droit de toucher le Maître, mais ce dernier a toute liberté pour le toucher , pour le grand plaisir des autres élèves qui regardent cette démonstration.

Mais, attention, il est parfois aussi utile pour Uke d’avoir la vision de ce qui va arriver. Si Tori va trop vite, ou trop fort, on arrive toujours à cette situation, où, Uke anticipe la chutes ou la technique de contrôle. J’ai souvent dit cette phrase : « ne dites jamais à un pratiquant de réaliser une chute avant, car on ne sait pas, si cette chute est en avant dans l’espace, ou en avant dans le temps ». On remarque très souvent que Uke anticipe la chute à cause de la douleur et de la peur.

Mais il n’y a aucune liberté pour les deux pratiquants. Combien de fois ai je assisté à des démonstrations ,où ,les deux partenaires révisent pour que tout soit parfait. Mais, pour moi l’aïkido ne doit pas être parfait.Il doit tendre vers une certaine perfection sans ne jamais l’atteindre.

L’Aïkido est un art, où ,pratiquer inlassablement ,doit donner au corps et à l’esprit, une liberté qui ne doit que construire l’autre.

C’est pourquoi, Uke doit être un problème pour Tori et non l’inverse. Uke est le pratiquant qui n’est pas éduqué, alors que Tori, lui, est entraîné. Tori demande souvent à Uke d’être parfait, pour que lui, n’ai pas la contrainte de l’être ...

Je suis arrivé à cette observation:

  • Qui dit attaque dit faiblesse.
  • Qui dit technique dit erreur .
  • Qui dit garde dit ouverture.

Il faut bien qu’il y ait une erreur dans l’attaque pour réaliser une technique, sinon, depuis le temps que l’on se bat n'aurait-on pas trouvé l’attaque imparable? N'aurait-on pas trouvé la technique parfaite et surtout la garde qui ne laisse aucune ouverture?

Il en va de même pour les saisies : Deux mains ne peuvent pas contrôler les trois segments qui forment le bras ou la jambe. Depuis le temps que des personnes sont saisies par d’autres (policier ou enlèvement) il faut toujours être deux au minimum pour tenir quelqu’un.

Souvent je demande à un partenaire devant moi : « fais moi un bon shomen uchi ». Il s’exécute puis lorsque je lui demande : «  fais moi un mauvais shomen uchi » là, un instant de panique surgit : « comment faire une chose qui n’est pas juste ? Comment faire un geste mauvais après tant d’années de pratique? ». Il est impossible de faire exprès un geste erroné que l’on a mis des années à faire évoluer. Cela prouve qu’en aïkido aucun geste n’est mauvais. Il n’est peut-être pas très bien exécuté mais jamais mauvais volontairement. C’est toujours l’autre qui dit : « ce n’est pas bien, ton attaque est fausse, ta saisie n’est pas bonne, ta pratique n’est pas juste ». On a construit l’aïkido sur la négation.

Il faut changer cette façon d’enseigner. Ce que font les deux partenaires est toujours juste mais pas toujours au goût de l’autre. C’est en cela que réside le génie de l’aïkido : accepter l’inconnu et l’inacceptable.

Aujourd’hui, avec le niveau que nous avons atteint, il me semble indispensable, que Uke ne soit jamais repris sur sa façon de prendre le contact. Uke ne doit pas prendre ce contact comme on le lui a appris, ou comme le lui demande Tori, mais par rapport à la situation, à l’attitude de Tori. Uke doit prendre le contact le plus facile pour lui et donc « le plus efficace ». Et Tori, lui, doit trouver le geste le plus juste possible et ne pas punir Uke quand la prise de contact aurait pu, elle, surprendre Tori.

C’est cela la technique, la maîtrise : « accepter d’échouer, accepter de ne pas être parfait. Et non pas changer de rythme ou de mouvement pour montrer à l’autre qui est le meilleur.

L’aïkido au fur et à mesure qu’il a grandit, a perdu sa liberté. Il faut faire comme le professeur. Mais, comment un élève pourrait faire en une heure, exactement, ce qu’un professeur a mis des années à bâtir?

Il faut changer le discours. Je le dit souvent : « Quand vous pratiquez sur le tapis, vous devez penser être dans la rue, et, que votre partenaire n’est plus un ami ,mais quelqu’un, qui va vous permettre de mettre en pratique, tout ce que vous avez intégré au cours de votre pratique. Dans la rue, il n’y a pas de règles comme dans notre pratique; il n’y a pas non plus d’arbitre, pour sanctionner telles ou telles mauvaises actions. Un pratiquant blessé va s’arrêter, mais celui qui l’a blessé ne sera jamais sanctionné.

Pour moi, c’est à cela que doit tendre notre pratique : aller au maximum des possibilités du partenaire le moins expérimenté. Quand je prends le contact avec un partenaire, je dois être exactement celui que l’autre imagine : très fort, trop fort pour lui. Peut-être a t il peur de moi ? Mais, au moment où je prends le contact avec lui, je dois devenir le meilleur partenaire qu’il n’a jamais eu. Être un partenaire qui le fait progresser, et, après avoir passé une heure avec moi, il ne doit plus avoir peur. L’aïkido c’est donner de la confiance à l’autre pas le contraire.

L’aïkido est une école de liberté où la maîtrise du corps doit être extrêmement précise. Uke comme Tori ont la liberté de faire ce qu’ils veulent, mais avec un seul objectif : “ faire en sorte que l’autre devienne meilleur”.

J’ai souvent dit aussi cette phrase : «  Avec mon partenaire, je ne perdrai pas, je vais seulement l’aider à devenir meilleur que moi. Pour cela, il ne faut jamais le corriger, mais à travers la pratique, l’amener à ce que je crois être bien pour lui. Mais, même s’il ne fait pas ce que j’aime, il me faut tout le temps respecter ce qu’il fait.

Philippe Gouttard 5 Mars 2020